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Le dormeur du sable et le dormeur du val.

 

 

Presque deux siècles vous séparent, vous les deux dormeurs.

 

   L’un dans un val, l’autre sur le sable, le temps des mots et le temps de l’image, tous deux frappants les esprits, tous deux témoins impuissants d’une nature ivre et folle de ce qu’elle ne veut pas comprendre : qu’au-delà de toute réflexion, au-delà de tout calcul mathématique, militaire ou économique, au-delà de tous les chiffres, vous témoignez de ce qui ne sera jamais quantifiable ou mesurable, le trop plein d’amour, la simplicité d’une seule vie pour la prise de conscience de plusieurs.

 

   Attendre le grand frison de la fin du poème ou d’une image extrême pour prendre conscience que seul l’amour règne.

   Ce n’est qu’en vous imaginant que l’on prend conscience de ce que l’on a raté et le grand frisson vient quand, plus petit encore qu’un enfant, nous nous sentons impuissants ou que nous contemplons tout simplement ce qui semblait évident.

 

   Allongés sur le sable ou dans le val, vous dormez comme des enfants malades d’un monde trop brutal qui nous rappelle, à nous, encore éveillés, que nous devons être les acteurs des paysages de demain, ces paysages où pourrons dormir paisiblement, enfin, les autres enfants.

Vous êtes là, sans frissons, pour éveiller nos sens à une prise de conscience. Vous, les petits dormeurs dont deux siècles vous séparent, vous vous êtes retrouvés dans les limbes, ce lieu insaisissable aux franges de l’enfer et du paradis où vous participez tous deux à offrir des grâces spéciales au monde.

 

   Sous le flot d’une vague, dans une nature verdoyante, vous poussez à l’extrême le paradoxe d’une vie active. Vous avez choisi les lieux de nos vacances pour nous convaincre enfin que le plaisir est vain s’il n’est pas baigné de l’action d’aimer. Vous réduisez à l’infime toutes les pensées et calculs compliqués pour savoir comment simplement, bien aimer.

 

   Vous dormez sous le soleil noir d’un monde qui s’éclaire devant votre sommeil, vous êtes là, tranquilles, les mains sur votre poitrine.

A Aylan Kurdi et Artur Rimbaud; ce que l’on ne voit pas n’existe-t-il pas ?

Le dormeur du val.

 

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

 

Arthur RIMBAUD   (1854-1891)

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